Samedi 7 juin à 17 heures, La Chaîne parlementaire diffuse Les Réseaux de la haine, un documentaire de Rokhaya Diallo dénonçant les dérives des réseaux sociaux. Entretien avec la réalisatrice du film, produit par Mélissa Theuriau.
En juin 2013, un utilisateur anonyme de Twitter avait lancé publiquement un message appelant à vous violer. Vous avez porté plainte. Le film raconte une partie de cette histoire. Pourquoi avoir choisi de vous mettreen scène ?
Depuis longtemps, je voulais faire quelque chose autour de la haine sur Internet. Quand j’ai lu ce tweet qui appelait à me violer, j’ai découvert qu’au même moment une journaliste anglaise avait été menacée de la même manière. J’ai appris que la police avait identifié l’auteur et qu’un procès allait avoir lieu. J’ai alors réalisé que c’était un phénomène répandu.
Tout devenait évident pour moi. En réalité, l’histoire, je la portais déjà, j’étais en même temps observatrice et actrice. Je voulais qu’on me suive sur le chemin pour identifier mon agresseur. Je ne connaissais pas la procédure et je ne savais pas si elle allait aboutir.
Finalement, votre agresseur a été identifié, puis condamné. D’après vous, faut-il interdire l’anonymat sur le Net ?
Malgré mon histoire, je ne le crois pas. L’anonymat est une garantie à la liberté d’expression. Mais il ne doit pas permettre d’intimider les autres. A travers ce film, je montre qu’on peut faire jouer la justice, qu’elle peut leverl’anonymat s’il y a danger ou incitation à la haine. Je ne souhaite pas que l’interdiction de l’anonymat soit une obligation préalable pour les utilisateurs d’Internet. Sur Twitter, il existe un brillant avocat qui a pris le pseudonyme de « Maître Eolas », il joue dans le débat démocratique, je n’aimerais pas qu’on l’oblige à révéler son identité.
Pour autant, il est facile d’insulter des personnalités et de proférer en toute impunité des injures racistes et homophobes. Alors comment contrer cette haine ?
Il est difficile d’échapper à la brutalité des rapports sur le Net, mais en même temps c’est un outil formidable en termes d’information et de démocratie. Mais la République met très peu de moyen au service de la justice sur Internet.
Il existe bien une plate-forme de police qui détecte et lutte contre la haine sur la Toile, mais elle est composée d’une dizaine de fonctionnaires pour quarante millions d’internautes. Il faut aussi former les magistrats : le jour de mon procès, j’ai constaté que les juges ne connaissaient pas Twitter.
Comment expliquer alors que très peu de personnes portent plainte ?
Il faut du temps et de l’argent. Il y a un sentiment de résignation alimenté par l’impuissance de la police. Nous sommes à la préhistoire d’Internet, nous faisons un usage immature des réseaux sociaux. Mais je crois qu’avec le temps, cela va s’autoréguler. Pour le moment, nous sommes dans un vide, nous ne maîtrisons pas les codes et nous sommes finalement des enfants qui découvrent un nouveau jouet. On ne s’interdit rien, certains se cachent, mais ces pratiques ne vont pas durer. Après ma plainte, j’ai vu les effets : les tweets qui m’étaient adressés sont devenus moins violents.